Par Moez Hadidane
En dépit d’une dynamique économique morose durant ces dernières années, les banques tunisienne gardent le cap sur la croissance des bénéfices. Dopés dans un premier temps (durant les années 2017 et 2018) par la hausse de la marge sur intérêts et des revenus de portefeuille, les bénéfices des banques ont atteint en 2018 : 1,2 milliards de dinars profitant de la montée des taux combinée au financement de l’État (via le refinancement de la BCT).
Post 2018, et avec l’orientation à la baisse des taux, les banques tunisiennes gardent le cap de la croissance exception faite de l’année 2020, grâce à l’alternative des commissions et l’éternelle revenus de portefeuille sur financement de l’État, néanmoins, sans élargissement important cette fois du refinancement de la BCT mais au prix d’un effet d’éviction du secteur privé. Sur la période 2014-2020 la majorité des banques ont sensiblement relevé leur bénéfice, en particulier Zitouna Bank qui a affiché un taux de croissance annuel moyen de 37,3% suivie par la STB : +22,7% par an, CITIBANK : +18,7% et BIAT : +18,4%. Il est attendu que les banques battent en 2021 leur records de masse bénéficiaire réalisée en 2019 de 1,35 milliards de dinars.
Rappel du cadre légal des commissions bancaires
Conformément des dispositions de l’article 83 de la loi bancaire 2016-48 du 11 juillet 2016 relative aux banques et aux EF, les banques doivent offrir des services bancaires de base dont la liste et les conditions sont fixées par décret gouvernemental.
Ces services bancaires de base dont fixé par le décret n° : 2006-1880 du 10 juillet 2006 (toujours en vigueur) et comprennent :
- La gestion du compte et sa clôture,
- La délivrance d’un relevé d’identité bancaire et son inscription sur tout relevé de compte,
- La domiciliation des effets de commerce et des virements bancaires,
- L’envoi d’un relevé des opérations effectuées sur le compte à l’adresse, déclarée à la banque, du titulaire du compte,
- La réalisation des opérations d’encaissement de chèques et de virements bancaires et postaux,
- La réalisation des opérations de dépôt et de retrait de fonds en espèces,
- La réalisation des paiements sous forme de virements ou de prélèvements ou sous toute autre forme,
- La délivrance d’une carte bancaire.
D’un autre côté, l’article 84 de la loi 2016-48 stipule que préalablement à la commercialisation de tout produit ou service financier ou à l’institution de toute nouvelle commission, les banques et les établissements financiers doivent en informer la Banque Centrale de Tunisie. La BCT peut, au cours de dix jours ouvrables à compter de la date de communication de tous les renseignements exigés, s’opposer, par décision motivée, à la commercialisation du produit ou du service financier ou à l’institution de la nouvelle commission. Le silence de la BCT après l’expiration dudit délai vaut acceptation. Les banques et les EF sont tenus, également d’informer préalablement la BCT de toute modification des niveaux de rémunération et de tarification qu’ils comptent introduire à leurs conditions bancaires.
En vertu de l’article 34 de la circulaire aux banques n°91-22 du 17 décembre 1991, les banques ne peuvent prélever d’autres commissions que celles prévues dans la liste Annexée à la dite circulaire ; cependant le niveau des commissions sur les opérations bancaires est librement fixé par les banques.
L’institution de toute nouvelle commission doit faire l’objet d’une concertation avec toutes les banques au sein de l’Association Professionnelle des Banques qui saisira la Banque Centrale de Tunisie de la position définitive à ce sujet.
Par ailleurs et selon l’article 83 de la loi bancaire 2016-48, les banques doivent soumettre la gestion des comptes de dépôt des personnes physiques et morales pour des besoins non professionnels à une convention écrite entre la banque et le client qui comporte les conditions générales d’ouverture, de fonctionnement et de clôture du compte et les conditions particulières relatives aux produits, services et moyens de paiement auxquels le compte donne lieu ainsi que la liste et le montant des commissions applicables.
La BCT a fixé par la Circulaire aux banques n° 2006-11, les conditions générales et particulières minimales de la convention. L’article 2 de de ladite circulaire oblige les banques d’aviser le client par écrit ou par tout moyen laissant une trace écrite de tout projet de modification des conditions applicables au compte quarante-cinq jours avant sa date d’application et de sommer le client dans le texte de l’avis qu’il dispose d’un délai d’un mois pour s’opposer à cette modification.
Compte tenu de la complexité de l’annexe 1 de la circulaire n°91-22 et afin de lever toute ambiguïté, la BCT a publié le 18 janvier 2020, un communiqué fixant clairement la gratuité de 14 services bancaires destinés aux titulaires de comptes bancaires en Tunisie :
- Ouverture de compte ;
- Délivrance de chéquier ;
- Délivrance d’un carnet d’épargne ;
- Versement et retrait en espèces ;
- Recouvrement de chèques ;
- Virement de compte à compte dans une même agence ;
- Consultation de compte ;
- Extrait de compte ;
- Relevé de compte mensuel ;
- Retrait de billets de banques de DAB-GAB de la banque du porteur ;
- Paiement par carte bancaire auprès d’un commerçant en Tunisie ;
- Règlement de factures via internet ;
- Changement d’adresse ;
- Clôture de compte.
Les commissions, alternative et relais de croissance
Sous réserve du respect de la gratuité de ces 14 services, les banques n’ont pas manqué d’imagination pour diversifier et augmenter les commissions appliquées aux comptes de leur clients, dans un contexte de ralentissements de l’investissement privé, du crédits à l’économie, de la politique restrictive de la BCT imposée aux banque dans sa bataille contre l’inflation, et de l’effet d’éviction exercé par L’État sur le secteur privé. En effet, les crédits bruts à l’économie accordés par le système bancaire résidents (22 banques) ont évolué durant la période 2014-2020 au rythme annuel moyen de 8,2% contre une hausse en moyenne annuelle des créances du système bancaire sur l’État de 17% durant la même période. La part des crédits des banques à l’État dans total crédit à l’économie est passée de 13,8% en 2014 à 22% en 2020. Elle sera de 25% en 2021.
Dans un souci de maintenir un rythme soutenue de croissance des bénéfices, les banques se sont embardées de leur vocation principale à savoir le financement de l’économie (entreprises et particuliers) au profit de l’État, parallèlement à l’alourdissement des commissions, et ce dans un environnement d’absence de compétition désinflationniste dans la quête des dépôts. Or, toute croissance de long terme des revenus des banques passe par la collecte des dépôts, que les banques au lieu de remercier ses clients, elles les sanctionnent. Tout virement reçue ou chèque encaissé, est sanctionné par le prélèvement de commissions au client sans aucune contrainte de compétition entre les banques.
Endehors de l’année exceptionnelle 2020, la masse bénéficiaire des 22 banques résidentes a évolué au rythme annuel moyen de 14,3% sur la période 2014-2019, (et 6,1% sur la période 2014-2020) largement au dessus du ryhtme d’évolution de distribution des crédits : 8,2%.
Le resserrement du spread de taux des banques conjugué (1) au ralentissement de l’investissement (et donc de la demande des crédits), (2) à la hausse du coût du risque (+13,9% en moyenne par année), et (3) à l’envolée de la charge d’impôts y compris les contributions sociales de solidarité et la taxe conjoncturelle (+22% par an en moyenne) ont poussé les banques à compenser ce manque de gain en relevant le niveau des commissions et en élargissant leur assiette.
À ce jour, seule la BFPME n’a pas encore publié ses comptes de l’année 2020. Dans l’hypothèse de stabilité de ses chiffre par rapport à 2019, le PNB des banques a évolué à un rythme moyen de 11,5% par an sur la période 2014-2020 provenant d’une croissance de 13,7% des revenus de portefeuille et opérations de change, +11% des commissions et 10,9% de la marge sur intérêts. Sans tenir compte de l’année 2020, le PIB de la Tunisie a évolué en terme réel sur la période 2014-2019 de 1,6% par an en moyenne et de 7,3% en nominal (à prix courants), le total des dépôts a évolué au rythme moyen de 8,5% et les crédits bruts de +8,2%.
La marge sur commission des banques résidentes a atteint en 2020 plus de 1,2 milliards de dinars enregistrant même une croissance de 3,1% par rapport à 2019, en dépit du manque à gagner suite aux différentes mesures prises par la BCT pour soutenir les clients des banques (entreprises et particuliers) durant la période de la pandémie du Covid-19.
En moyenne, les commissions représentent en 2020 un poids de 21,4% dans le PNB contre un poids de 55,5% pour la marge sur intérêts et 23,1% pour les revenus de marché (gestion de portefeuille et change). Ces chiffres ne sont qu’une moyenne du secteur et sont assez hétérogènes d’une banque à l’autre.
Les banques qui profitent le plus des commissions
Pour identifier quelle sont les banques qui tirent le mieux leur épingle de jeu des commissions par rapport à leur taille, nous avons retenu une moyenne pondérée de quatre critères à savoir la taille des commissions par rapport à l’encours moyen (début et fin d’exercice) des dépôts, la taille des commissions par rapport aux frais de personnel, la taille des commission par rapport à l’encours moyen des crédits nets et la taille des commission par rapport à l’encours moyen du total bilan. Les deux premiers étant doublement pondérés. Nous avons également retiré de l’échantillon la BTS et la BFPME vu la spécificité de leur statut.
Ainsi, à titre illustratif, les commissions prélevées par les banques couvrent en moyenne en 2020, 69,6% de la masse salariale des banque contre 61% en 2014. En d’autres termes, chaque 100 dinars de salaires versés est couverte à hauteur de 69,6 dinars par les commissions. Ce taux peut aller jusqu’à 98% pour certaines banques comme le montre le graphique suivant :
En ce qui concerne les autres critères, les banques prélèvent en moyennes en 2020 près de 1,5 dinars pour chaque 100 dinars de dépôts contre 1,4 dinars en 2015, et 1,5 dinars pour chaque 100 dinars d’encours de crédits contre 1,3 dinars en 2015 et enfin 1,1 dinars pour chaque 100 dinars de total bilan contre 1 dinars en 2015.
Un scoring combinant par agrégation ces quatre critères fait ressortir le rang (par ordre décroissant) des banques qui prélèvent le plus de commission par rapport à leur taille comme suit :